Serge était beau, Serge était fort, Serge aimait les femmes et elles l’aimaient en retour. Il s’étira dans le grand lit de l’auberge, repoussant l’édredon de ses jambes musclées. Réveillé par le bruit de la foule qui s’amassait dehors. Les appels de la populace commençaient à retentir « Funder, Funder ! », son nom de guerre. La fille à son coté enfonça la tète dans l’oreiller en grognant. Il ne savait pas son nom par contre et s’en moquait, ne connaissait que sa croupe et ne voulait pas en savoir plus. Ce soir ce serait une autre, plusieurs autres. Il s’était limité à une seule cette nuit car aujourd’hui était un grand jour, son grand jour. Il se leva, s’aspergea le visage d’eau de la bassine laissée là à son intention et laissa l’eau couler le long de son torse, allant jusqu’à le frotter doucement soulignant les muscles, les appréciant et sachant que ça plairait aussi à la foule.
Il s’approcha enfin des volets qui barraient la sortie vers le balcon. Il souriait sentant l’impatience de la foule, son désir de le voir et il en vibrait dans tout son être alors qu’il poussait les lintaux de bois et apparaissait à l’extérieur. La lumière le baignant, le faisant apparaitre tel un sauveur. La fille grogna lorsque le soleil se déversa dans la chambre mais il l’avait déjà oubliée. C’était son instant. Le peuple l’ovationna, le peuple ovationne toujours. Serge leva les bras encore plus haut, accueillant la clameur qui envahissait la place. Il était Dieu à cet instant, invincible. Tant de souffrance, de privations, de combats, de complots pour enfin arriver ici.
Aujourd’hui le tyran allait tomber et il le leur dit. Tous ensemble ils allaient changer les choses, faire un monde plus juste où les forts protégeraient les faibles sans plus les exploiter, où il y’aurait du travail et à manger pour tous, le pouvoir servirait le peuple sous sa tutelle éclairée. Il ne savait pas trop ce qu’il disait, il n’avait pas préparé ce qu’il allait dire, d’autres l’avaient fait pour lui mais il aimait entendre ces mots importants sortir de sa bouche. Il était presque convaincu qu’il aurait pu avoir tout autant de succès en leur clamant la recette de la tarte à la betterave mais il était fier de lui. Lui qu’on ovationnait, lui qui n’avait jamais été à l’école, lui qui n’avait eu d’autre choix que de travailler dans les mines dès sept ans, lui qui avait perdu toute sa famille massacrée par les hommes d’Umbor. Umbor encore et toujours, le comte sanguinaire qui l’avait poursuivi tout au long de son long voyage vers la capitale. Lui qui avait tenté d’empêcher le destin de faire son œuvre. Mais partout où il s’était arrêté, chaque fois qu’il avait faibli, une âme charitable lui avait ouvert sa porte, avait rajouté un couvert à table même s’ils n’avaient rien à partager. Et il le leur dit aussi. Et ils crièrent de joie, transporté par la fierté de l’avoir aidé dans sa quête, prenant fierté de ce que d’autres avaient fait, eux qui ne l’auraient jamais fait. Serge n’était pas l’homme le plus intelligent de l’assemblée certes mais il savait que ces mêmes gens qui l’ovationnaient aujourd’hui, qui le saluaient, l’appelaient de leurs vœux, lui avaient fermé la porte au nez, l’avaient donné aux soldats, vendus par peur ou plaisir. Il savait que le peuple qu’il sauvait n’en valait peut être pas la peine mais il ne le faisait pas pour eux. Non il n’avait pas eu le choix mais ça par contre il ne le leur dit pas.
Quand il eut fini et que la clameur descendit, lui fit de même dans la salle commune où ses compagnons l’attendaient patiemment. D’ordinaire, ils lui auraient lancé quelques piques sur son discours mais aujourd’hui tous étaient absorbés dans leurs pensées tout en mangeant. Les gens dehors continuaient à l’appeler, on avait dû garder les volets fermés de peur qu’ils ne brisent les vitres pour s’introduire dans l’auberge, pour le voir, le toucher. Certains prétendaient déjà que le toucher guérissait les maladies, inepties. Serge ne s’en inquiéta pas, plus ici, pas maintenant, les rapports de ses amis lui confirmèrent que tout était prêt.
Kern, un vétéran des campagnes du sud, un homme solide et grisonnant. Il lui fit un topo encourageant, la garde de la ville avait pu être achetée grâce à l’argent que les bourgeois s’étaient empressés de leur donner en échange de futurs gains. Kern le regardait fièrement lui qui lui avait si souvent sauvé la vie le regardait comme un père bienveillant en lui racontant que la milice avait trop peur de la vindicte populaire pour intervenir et que le chemin vers le palais était libre, ne restait que la garde royale mais leur manœuvre semblait avoir réussi, plus de la moitié était partie vers le sud battre la campagne à sa recherche et il serait trop tard quand il reviendrait. Il avait réussi à faire suffisamment peur au tyran pour qu’il envoie ses meilleurs hommes à la ville d’Akbah où des doubles clamant être le héros sauveur de l’humanité causaient de nombreux troubles en son nom. Ajoutant à la confusion des troupes du tyran. Celui-ci ne savait probablement même pas à quoi il ressemblait jusqu’à aujourd’hui. Mais les plans avaient été faits et refaits depuis des semaines jusque tard dans la nuit et au bout d’un moment ils n’eurent plus rien à y ajouter. Ils se regardèrent, Célia, la belle brune aux formes généreuses, Néor , le nain aux yeux bleu profond et à la barbe négligée le regardait avec un air fier, lui qui avait subi le plus d’entre eux. Tous étaient heureux d’être là pour cet instant. Et François lui souriait pour donner du courage comme il le faisait toujours, l’humour aux lèvres, le charme dans la démarche qui leur avait valu tant d’alliés de poids lors de leur quête.
Ils se serrèrent la main et se levèrent comme un seul homme, chacun attachant son arme à sa ceinture, ajustant une épaulette, une chaussure, une mèche rebelle, quelque chose, n’importe quoi pour faire passer l’attente et la pression. Et puis, ils sortirent, la clameur se tut, les rangs s’ouvrirent pour les laisser passer. Il y’avait des hommes et femmes de toute condition, même des enfants juchés sur les épaules de leurs parents. Le soleil était déjà haut mais tous avaient arrêté de travailler pour venir le voir accomplir sa destinée, leur destinée.
Le palais vu d’ici semblait presque ridicule, une riche demeure bourgeoise ceinte d’un mur d’à peine quelques mètres de haut. Il n’y avait plus rien à faire qu’avancer. Lorsque l’édifice devint assez grand pour qu’ils doivent lever la tête pour l’embrasser du regard ils s’arrêtèrent un instant. Ils savaient qu’on les observait, qu’on les craignait. Serge eut presque pitié du tyran qui s’il n’était pas fou devait contempler sa vie et la mort qui approchait tout en se débattant pour survivre.
Des gardes étaient en faction aux portes de l’enceinte mais ils s’écartèrent tout en regardant fixement devant eux, comme s’ils accueillaient des visiteurs de marque, comme s’ils n’étaient pas en train de trahir leur suzerain. « Lâches » pensa Serge et il eut presque envie que le peuple les attrape pour les tailler en pièce mais celui-ci restait à distance respectueuse en haut de la place. Ils avaient encore peur du tyran et Serge se doutaient qu’ils en auraient encore peur longtemps même après sa mort.
Pour la première fois il se demanda ce qu’il faisait réellement là. La vengeance l’avait poussé jusqu’ici, les autres l’avaient transformé en étendard, en symbole de liberté et c’était bon après avoir passé une enfance ignoré de tous dans les mines à rapporter l’argent que son père buvait. Son amertume passagère lui fit ajouter in petto « et qu’il nous battait, le salaud ».
On le tira par le bras. Il s’était arrêté et Néor le regardait avec son regard confiant. Il devait penser qu’il avait peur mais qui n’aurait pas eu peur à cet instant où il allait changer l’histoire ? Néor comprenait ce qui pesait sur ses épaules lui qui avait dû vivre avec le poids du regard des autres, qui avait dû convaincre tout le monde qu’il pouvait être utile et qui l’avait payé au prix fort, torturé, marqué à vie. Serge sourit en retour et reprit son chemin, la main sur l’épaule de son compagnon.
Plus ils avançaient moins les gardes étaient coopératifs « enfin ! ». Il y’avait une limite à leur lâcheté.
Kern avançait avec précaution, de coin en coin, longeant les murs, l’épée au clair. Serge sur les talons, hache en main, elle qui l’avait tant servi, il avait fait aiguisé la lame la veille mais le bois était le même, taché de sang et patiné par l’usage. François lui tenait l’arrière garde, arbalète sous le coude.
Au premier étage les choses se corsèrent, ils durent commencer à combattre mètre par mètre, les gardes arrivant par petits groupes, criant pour en rameuter d’autres. Mais ils ne faisaient leur travail que par peur ou conscience professionnelle, sans conviction. Souvent ils lâchaient leurs armes dès la première passe ou laissaient délibérément une ouverture afin d’en finir plus vite sur une mort honorable qui ne serait honorée par personne. Ils arrivèrent enfin dans la salle de l’assemblée, là où le tyran avait l’habitude de siéger, là où il avait prononcé tant de sentences et de lois retorses face à un public terrorisé. Car ce sont les nobles qui avaient le plus peur du tyran alors qu’ils en souffraient le moins. Ce sont eux qui l’avaient armé, lui Funder, pour être le bras de leur vengeance, enfin ça c’est ce qu’il leur laissait croire. Il avait pris leur or, leur soutien mais restait libre et le serait toujours. Devant les portes, deux gardes en livrée officielle, noir et or, hallebardes en main, croisées en face des lourds battants. L’un avait les jambes qui tremblaient mais restait malgré tout à son poste. Serge voulut les menacer de sa hache mais il les sous estima car ils abaissèrent rapidement leurs armes avant qu’il ne soit au contact. Et malgré qu’elles n’étaient pas faites pour les combats d’intérieur il manqua de peu d’être occi par l’une d’elle. Mais ils furent emportés par le poids alors que Serge reculait à l’écart. Kern coupa la hampe du premier, la main qui tenait celle-ci fut tranchée en même temps et l’homme tomba à genoux en se tenant le poignet, hurlant à la vue de la gerbe de sang qui en sortait par à coup. L’autre avança d’un pas, prenant appui pour relever son arme mais il reçut le carreau d’arbalète de François en plein visage, lui clouant le béret de velours sur le front ainsi qu’une expression surprise rapidement recouverte d’un filet de sang. L’homme s’affala de tout son long.
Serge poussa la porte, s’arc boutant et en y ajoutant un coup de pieds puissant dès qu’elles se mirent à bouger mais elles continuèrent à s’ouvrir doucement sans l’effet tonitruant qu’il aurait voulu produire.
La salle était gigantesque, ornée de colonnes, de bancs de marbres, de draperies qui tombaient entre chaque colonne et qui auraient pu cacher des dizaines d’hommes mais qui semblaient désertes. Il fit un signe de la main pour indiquer à ses compagnons de rester là et de garder l’entrée. Il descendit lentement le centre de la salle vers le trône où semblait affalé un vieillard. « Peut-être le lâche s’est-il donné la mort » Pensa Serge. « Peut être n’aurais-je même pas à l’affronter » car à cet instant il ne ressentait plus la colère et la haine qui l’avait nourri pendant toutes ces années. Il n’arrivaient plus à en vouloir à cet homme qui lui avait pris sa famille et ses amis, il avait du mal à se souvenir de leurs visages et par contre réalisait que l’homme assis sur le trône n’était en effet qu’un homme et que Serge allait être déçu parce qui allait se passer.
Ses pas résonnaient sur le dallage tel les coups d’une horloge funeste. Son cœur lui battait la chamade mais il s’efforçait de continuer à avancer lentement. Ses paumes étaient moites et glissaient sur la poignée de la hache, il aurait du la recouvrir de farine comme il en avait l’habitude mais il avait oublié. L’homme assis sur le trône ne bougeait toujours pas. Il avait la tète appuyée sur le bras, les yeux fermés mais sans avoir l’air endormi, ni vieux d’ailleurs. Il était emmitouflé dans une longue robe noire épaisse.
Il avait les traits tirés, les cheveux grisonnants sur une calvitie frontale naissante, le visage las, les plis de la bouche pincés comme par trop de sévérité pointaient vers le bas, éternellement mécontent. Et surtout il semblait malade, trop fatigué, amoindris. Il ouvrit les yeux doucement, ne parut pas surpris de la présence de son bourreau et releva lentement la tète comme pour l’étudier avant de la laisser retomber sur sa paume d’un air blasé. Encore quelque pas, Serge sentit qu’il aurait du dire quelque chose mais ne fit que resserrer sa prise sur son arme, son cuir chevelu se mettant à le gratter mais il n’osait enlever une main pour soulager son crane. Moment de gloire gâché par la gratouille, joie. Pensa-t-il. Il secoua la tète envoyant ses mèches sur le coté en un geste dont il avait l’habitude. « Vous êtes en retard » la voix était cassante, méprisante mais malgré tout à peine audible, couverte par le bruit de ses pas et Serge du s’arrêter pour entendre la suite. « … attendais à l’aube, mieux, cette nuit vu que je ne dormais de toute façon pas mais non monsieur prenait ses aises à la meilleure auberge de la ville. Les héros ne sont plus ce qu’ils étaient, de mon temps ils montaient à l’assaut dès la première heure sans faire attendre, c’est très impoli. Ils combattaient avec la force de leur bras et leur foi et non pas avec le Dieu argent et le fiel des familles nobles qui rends les choses tellement plus facile n’est-ce-pas ? Vous croyez que vous aurez encore un quelconque crédit pour m’avoir occis? Moi qui ai combattu la corruption toute ma vie vous venez de lui donner un aura, une justification qui sera difficile à effacer. Vous faites un très mauvais exemple pour la jeunesse vous savez ? Très mauvais…. » Il laissa sa voix mourir. Serge se demande un instant si l’homme était devenu fou, s’il ne réalisait pas qu’il était là pour le tuer.
mardi, mai 24, 2011
La Nostalgie du Tyran - Chap 2 - Jour de gloire
Musique d'inspiration: ACDC - Thunderstruck
jeudi, janvier 13, 2011
La Nostalgie du Tyran, version 3 - Chapitre 1: La Vague Aveugle
Troisième essai, le bon cette fois peut-être. Il faut y croire :).
Je mélange donc deux histoires qui me turlipinent depuis un bail, chemin vers pensée et la nostalgie du tyran mais je pense qu'elles se marieront bien, on verra.
C'est un premier jet qui reprends des morceaux que j'avais déjà écris mais qui en grande partie est réécrit from scratch.
principale musique d'inspiration: Corvus Corax - Florent Omnes
Je mélange donc deux histoires qui me turlipinent depuis un bail, chemin vers pensée et la nostalgie du tyran mais je pense qu'elles se marieront bien, on verra.
C'est un premier jet qui reprends des morceaux que j'avais déjà écris mais qui en grande partie est réécrit from scratch.
principale musique d'inspiration: Corvus Corax - Florent Omnes
Lentement une feuille tourbillonnait vers le sol, des goutes rouges de rosée glissaient le long de la surface lisse que la lumière caressait. Son regard la suivit jusqu’au sol où elle se posa lentement dans la main ouverte et pâle d’un cadavre. Il se sentit glacé, la peur se répandit en lui. Où était-il ? Le bruit, l’odeur de mort, de sueur et de boyaux vidés. Ses yeux s’abaissèrent lentement vers son propre corps, ses mains vides mais couvertes de sang et de terre fraiche. Il sut qu’il était tombé à genou, il sentait l’humidité qui lentement passait au travers de ses chausses. Où peut-être était-ce la pluie, il venait à peine de réaliser qu’elle tombait. Des petites rigoles remplies de sang se frayaient un chemin dans la boue. Et partout, aussi loin qu’il pouvait voir des cadavres.Lentement le bruit rempli l’espace, les combats n’étaient pas finis. Il marcha lentement, difficilement comme s’il n’avait plus bougé depuis des heures, ses membres endoloris lui faisaient mal.
Il approchait de la lisière des bois et le bruit grandissait, grondait : des râles, des cris, le claquement de fouets, des voix des centaines de milliers de voix qui scandaient en chœur ou en désordre, priaient, hurlaient sans s’entendre. Il cligna des yeux, encore et encore, chassant la pluie, les pleurs, pourquoi pleurait-il ? Enfin il put distinguer ce qui jusqu’alors ne formait qu’un mur pale à l’horizon. Une marée humaine monstrueuse qui avançait inexorablement, une vague à perte de vue de créatures torturées, nues, aveugles, les yeux d’un blanc laiteux grands ouverts sur le ciel remplis de nuages menaçants, la bouche ouverte sur leurs supplications. Ils boitaient enchainés les uns aux autres par un crochet planté dans la chair, dans l’os. Ouvrant des blessures infectées, noires, grouillantes de vers et de mouches. Certains pourrissaient debout, d’autre mourraient avant, étaient trainés malgré tout par les autres jusqu’à ce qu’ils ne restent plus rien d’eux que ce crochet rouillé, noir de sang caillé. Ils avançaient à tâtons, se bousculant les uns les autres, et derrière claquait les fouets de leurs maitres. Aveugles eux aussi dont le seul et unique but n’était plus que de frapper devant eux en un rythme connu d’eux seul comme si c’était là leur dernière, leur seule raison de vivre. Il fut pétrifié par ce paysage de cauchemar, cette marée humaine blafarde qui taillait en pièce les dernières poches de résistances qui se tenaient encore sur son chemin. De maigres groupes d’hommes, bardés de lances sur lesquels s’empalaient les aveugles. Entrainant les piques dans leur chute, continuant à frapper l’air puis le sol tout en priant et en râlant de douleur. D’autres les piétinaient et mourraient à leur suite jusqu’à ce qu’il n’y ai plus rien face à eux.
Ils s’approchèrent frappant et psalmodiant de la lisière des arbres, vers lui, lui, toujours pétrifié d’horreur, les jambes de coton, les chausses mouillées.
Les formes continuaient à battre l’air, attaquant même les branchages et les troncs d’arbres, les réduisant en copeaux de bois, l’esprit absent, submergé par la douleur et la folie, obnubilés par les prières scandées « Maeror abit scaebilus » Une main parcheminée lui attrapa le bras, le secoua violemment « Courez monsieur ! Fuyez ils n’ont aucune pitié, le jour est perdu, il l’a toujours été » L’homme cracha à ses pieds, le regard apeuré malgré le poids des années qui faisaient de lui un vétéran. Il n’attendit pas de réponse et s’enfonça plus profondément dans les bois. Il le regarda disparaître parmi le vert sombre de la foret. La vague aveugle se rapprochait inexorablement, s’enfonçait dans les sous-bois. Il aperçut derrière elle des hommes qui la guidait à cheval, criant des ordres, frappant les pauvres hères, et parfois courant derrière un fuyard, un homme qui avait pu pouvoir y réchapper en faisant le mort ou en courant. Il était temps de partir, il ne sut jamais pourquoi malgré la peur il avait attendu si longtemps à contempler la mort, sa mort, avancer. Mais il finit enfin par tourner les talons et fuit par là où il avait vu l’autre homme partir.
Il courut et courut encore, ses premiers pas hésitants, manquant de trébucher, ses mains se rattrapant à l’écorce des arbres, s’écorchant la peau. Mais il accueillait avec bienveillance ce picotement, le sang qui pulsait dans ses doigts qui lui rappelait qu’il était encore en vie, il redoubla d’ardeur malgré les muscles qui le brulaient. Il aurait presque rit d’allégresse de se sentir vivant car il ne savait pas d’où il venait, ne savait pas qui il était et son esprit fit le vide sur la seule chose qu’il savait de son passé. Bercé par la clameur des hommes sans visages et de leur prières qui s’éloignait doucement.
...Elle avait les cheveux bruns, tirant vers le roux, la taille fine. Il avait déjà envie d'elle alors qu'il venait à peine d'entrer dans la pièce. Son membre se tendait contre ses chausses. Son être entier semble ainsi s'étirer vers elle, chercher à l'atteindre plus vite. Il ferma la porte et attendit à l'entrée. Il avait besoin de la toucher, cela faisait si longtemps. Elle crispa ses épaules lorsqu'elle l'entendit, elle savait que c'était lui. Elle avait toujours eu ce don pour le sentir, le lire comme s'il était transparent pour elle. Cela l'avait désarçonné au début, lui qui se trouvait si malin, si secret.
Il ouvrit la bouche pour murmurer son nom, sa main se leva lentement, anticipant la caresse qu'il lui donnait déjà en songe. Mais elle se tourna brusquement, brisant le rêve éveillé, le ramenant à la triste réalité.
"Vas-t-en, tu ne comprends donc pas? Je n’en peux plus de ton amour, de ta douleur." Elle se jeta sur lui, ses yeux rougis par les pleurs. Depuis qu'elle sait que je vais venir pensa-t-il amèrement. Autrefois, il l'aurait prise dans ses bras, l'aurait laissée le frapper de ses petites mains délicates, il aurait emprisonné sa taille, ses mains l'auraient caressée, sa bouche aurait cherché ses lèvres pour faire taire ses faibles mots de protestations. Peut-être aurait-il alors glissé sa main entre ses jambes, ou l'aurait-il jetée sur le lit où elle serait tombée en soumission. Tout cela changerait son non offusqué en oui suppliant.
Il l'aurait prise et elle aurait pleuré, de joie cette fois. Autrefois. Mais pas aujourd'hui. Sa lettre lui avait glacé le cœur et même s'il l'aimait et la désirait toujours autant il n'arrivait plus à le lui imposer. Il ne pouvait pas la forcer à l'aimer si elle disait en aimer un autre. Même s'il savait qu'elle l'aimait encore. Mais à quoi bon?
Un mari ça se trompe, on le connait, on l'aime tendrement, on y est attaché mais il a perdu le pouvoir de la nouveauté, un prétendant c'était une toute autre affaire, peu importe son statut son origine (il le haïssait déjà), il avait du pouvoir, de quoi séduire, mentir et éblouir.
Un autre amant que lui, plus présent, plus proche, plus réel donc qui lui enlevait son unicité à lui, sa place de roi dans ses yeux à elle et surtout dans son cœur. Il aurait dû se battre comme le font les coqs et les chiens mais il était trop digne pour ça, même pour elle. Il ne voulait pas être différent de celui qu'elle avait aimé. Elle lui avait dit qu'elle l'aimait encore et il n'avait pas compris. Elle l'aimait oui mais par défaut sans qu'il ait droit au chapitre. Elle aimait comme on aime une peinture et non ce qu'elle dépeint et encore moins l'artiste. Lui il l'aimait du désespoir car malgré tout ce qu'il avait dans la vie, il ne voulait qu'elle et quelqu'un la lui avait prise, non pire, elle s'était donnée. Un premier venu, un peu intelligent, très charmeur, un homme bon probablement si on avait confiance à son jugement mais un autre homme quand même. Il avait souffert quelque temps enfermé, décidé à vivre sans elle, à vivre malgré elle.
Mais il n'y arrivait pas vraiment, alors il était venu la voir.
Et là, ici, il comprenait enfin qu'elle avait mal, ou qu'elle avait eu mal et qu'elle avait une autre façon que lui de le vivre. Cela l'attrista et il grimaça. Sa main se portant instinctivement à son ventre et puis il sentit les larmes couler sans avoir eu le temps de les retenir mais malgré toutes ses envies de la supplier, de la tenir, de se fâcher et de la prendre là il ne fit rien. Il se força à sourire et dit "Je comprends, c'est probablement mieux ainsi. Je t’aime Amélia, prends soin de toi.". Il s'effaça lentement, regardant leur image se séparer dans le miroir plutôt que de sonder ses yeux, qu'elle avait comme lui, bleu gris, de peur d'y voir une lueur d'espoir, de désir. La porte se referma sans qu'il embrasse à nouveau cette bouche parfaite. La porte se referme et l'oubli prit le pas. Seul le martèlement de ses jambes comptait. Qui était-elle ? Qui était-il ? Il ne le savait pas et les larmes continuaient de couler, la douleur de ses muscles se mêlant à celle du coeur, il aurait voulu courir ainsi jusqu’au bout du monde s’il y’en avait un.
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