Musique d'inspiration: Goran Bregovic & Ofra Haza - Cantonero (Reine Margot Theme)
« Et le premier était l’Unique, car seul lui était assez arrogant pour se croire seul. »
Une voix douce et apaisante s’éleva dans l’air d’un petit matin brumeux. Une voix de femme, plaintive. Celle qui chantait était accroupie sur un muret de pierre, les jambes ramenées sous elle, recouvertes par sa jupe de toile brune. Un corsage serré au tissu rugueux complétait sa sombre panoplie. Seuls ses cheveux d’un rouge éclatant semblaient accompagner les vers clamés au vent.
Ses yeux d’un bleu aussi clair que l’eau d’une rivière regardaient fixement devant eux. « Elohaï ». Ce nom revenait souvent dans sa complainte. Personne ne pouvait dire si c’était là la raison de ses pleurs pourtant tous aurait juré que si et auraient pleurés avec elle. Pourtant l’air frais et vivifiant vous piquait les narines et vous tirait des larmes comme si ça ne suffisait pas.
Mais elle ne chantait pas pour les autres, ni pour elle-même, elle ne faisait que laisser sourdre la noirceur qui enserrait son cœur et l’étouffait. Elle clamait sa peine aux collines, aux arbres et au petit hameau en contrebas.
Une corneille tournoya un instant au dessus de celui-ci avant de se poser sur l’un des gibets qui ornaient la place du village. De si loin, on aurait pu croire à des jouets macabres ou des mats de cocagnes peut-être mais leurs fruits étaient autrement plus mûrs et suintaient des entrailles.
Des larmes coulèrent le long de ses joues, traçant un sillage humide que le vent tentait d’assécher. Sa voix ne faiblissait pas « Elohaï !»
Elle chantait et pleurait pour un homme, plus qu’un homme, un héro, un espoir. Et au-delà, elle pleurait pour un pays, une nation, pour le monde même peut-être.
Aujourd’hui sa chanson était connue de tous et jamais interrompue. Jamais aucun homme n’aurait osé railler son sujet et offenser ainsi les dieux. Pourtant, tous, sans exception auraient voulu qu’elle n’ait jamais existé.
Le dernier couplet s’éteignit dans l’aube. Un des soldats qui attendait patiemment s’éclaircit la gorge, gêné. Il n’aimait pas ce qu’il avait à faire mais c’était là son devoir.
La fille plus belle que l’aube se laissa emmener sans résistance, le visage inexpressif. La cueillette allait bientôt commencer.
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