Musique d'inspiration: Cultus Ferox - Sarah
Chapitre XXV. Guylhom - Réveil difficile
- Mère ?
- Guylhom, accroche toi mon enfant.
- Je ne suis pas fait pour ça mère. Je veux rentrer. Où es-tu ?
Guylhom ne la voyait pas mais il sentait sa présence.
- Tu ne le peux mon fils. Tu ne m’appartiens plus, tu as une mission à accomplir.
- S’il te plait mère, tu me manques tant.
- Il te faut encore souffrir mon fils, j’en suis désolée, crois le bien.
- Mère, aide moi !
- mon petit…
Il savait qu’elle pleurait et il aurait pleuré aussi si ça ne faisait pas aussi mal.
La douleur, jamais il n’en avait connu de si forte. Elle tambourinait à ses tempes. Où peut-être était-ce la musique Burganne. « Musique ? » C’est un bien grand mot pour ce vacarme assourdissant qui les accompagnait du matin jusqu’au soir : des tambours, des trompes, des fluttes et les saints seuls savaient quoi encore. N’arrêtaient-ils donc jamais ? Pas un instant de repos, il commençait à haïr les burgans même la nuit les gardes trouvaient encore le moyen de jouer d’un instrument. Des semaines qu’il était couché maintenant, les bras toujours liés dans le dos, officiellement pour l’empêcher de se gratter le visage mais il était et restait un prisonnier même si son visage le grattait en effet atrocement. Le réveil avait pourtant été beaucoup plus difficile.
Il hurlait et riait comme un dément quand il n’en pouvait plus de hurler. Et Bam et Bam et Bam que continuaient les tambours à l’extérieur ou peut-être était-ce sa tête qui allait éclater. Son esprit embrumé n’était même plus sûr que c’était bien lui qui criait. Peut-être était-ce un autre blessé. Il n’arrêtait pas et il voulu lui crier de la fermer mais il n’arrivait pas à parler. Il avait un mal de chien, sa bouche se remplissait sans cesse d’un liquide chaud et ferreux. « TA GUEULE ! » mais il ne fit que le penser entre deux sursauts de douleur. On le maintenait sur place mais il ne voyait pas qui, peut-être était-il simplement trop faible ? Une voix grinçante et forte s’imposa pourtant.
- Sors de là imbécile, tu as assez fait de dégâts comme ça !
La forme entra et en poussa une autre avant de se mettre à chanter. Pendant ce temps l’autre criard ne fermait pas sa gueule. Qu’ils l’achèvent au nom des Saints !
Il avait chaud ou plutôt froid, il ne savait plus, son corps grelottait il en était certain. Ce que ça faisait mal, sa tête surtout, il l’aurait jurée prête à éclater, ça tambourinait et pulsait. Peut-être étaient ce ces maudits sauvages et leur musique.
Pourquoi faisait-il si noir ? Un homme près de lui s’étrangla « C’est impossible ! »
La voix grinçante répondit :
- Les dieux seuls décident de ce qui est possible ou pas. Ce qui semble vraiment impossible c’est d’être aussi pâle que toi. Sors d’ici avant que je ne nettoie la plaie, ça va être pire.
L’homme ne se le fit pas dire deux fois. De quelle plaie parlait-elle ? Parlait-on de lui ou de l’autre ?
Il y’avait-il seulement un autre ? En tout cas il était temps qu’on s’occupe de lui. Il tenta de grimacer mais la douleur le fit s’évanouir. Il se réveilla et la vieille chantait toujours. Comme s’il avait besoin de ça. Il voulu lui intimer de se taire mais n’arriva pas à produire un seul son.
Il se réveilla ainsi plusieurs fois avant de retomber inconscient. Il avait l’impression d’avoir moins mal ou peut-être s’y était-il simplement habitué. Un moment il réalisa qu’on lui mettait un bandage autour de la tête, ça le démangeait et il voulu se débattre mais assommé par la douleur il s’endormit pour de bon cette fois-ci.
Il s’était réveillé bien plus tard, il n’aurait su dire combien de temps avait passé mais la faim le tenaillait. La vieille était revenue et avait tenté de lui faire boire de l’eau. Il n’avait pas réussi à articuler un seul mot et pour dire quoi ? Merci de m’avoir amoché mais gardé en vie ?
Il était aphone, la voix éraillée, cassée d’avoir trop crié. Il avait fallu plusieurs visites pour qu’elle lui donne enfin de la soupe. Elle lui changeait aussi les bandages, ceux qu’elle retirait étaient rouge sang et seul l’horrible sensation de déchirement lorsqu’elle les décollait de son visage lui confirmait que c’étaient bien les siens. Il ne savait pas vraiment où il était, elle était burganne, il en était certain mais il n’arrivait pas à bien la voir, il faisait si sombre ici. De plus elle ne parlait plus comme si les paroles lui coûtaient trop. Un matin c’est un homme qui entra, il était grand et fort, sa barbe fournie lui donnait un air féroce. Il mit genou en terre, voulu dire quelque chose mais s’étrangla et se mit à pleurer. La scène était tellement improbable que Guylhom crut l’avoir rêvée.
Il réalisa qu’il était aveugle mais il avait gardé cette capacité de vision secondaire par il ne savait quel prodige. Il savait qu’une plaie lui barrait les yeux les yeux et le nez, il n’avait pas encore pu la toucher mais il avait senti d’autres le faire. Le simple fait de marcher encore semblait être un miracle en soi. Les Burgans avaient fini par lui rendre son armure. Leurs efforts grossiers n’avaient pu enlever les traces de coups qui en ternissaient l’éclat ni les morceaux manquants sur le gorgerin. Son regard parcourait le métal écorché en se demandant comment quiconque pouvait survivre à de tels coups. Saint Royan devait vraiment être à ses côtés. Par contre, il avait été épargné par les remarques sarcastiques de Hedera, peut-être sa blessure l’avait elle guéri de sa folie. L’homme blond entra et s’assit en tailleur, il observa Guylhom d’un air hésitant.
- Moi Ah nuf. L’homme tentait vaille que vaille de s’exprimer dans un liudmarkien plus que rudimentaire.
Son accent était terrible et Guylhom ne put s’empêcher de lui répondre en Burgans bien qu’il n’avait aucune idée de la façon dont il avait apprise la langue.
- Je comprends votre dialecte, Arnulf.
L’homme ne semble pas surpris, juste fatigué.
- Je dois vous avouer quelque chose à une heure où mon nom que je considérais comme ridicule risque de changer pour pire. Certains m’appellent déjà Arnulf le trop fier, Arnulf le mou, Arnulf le déclin. Je ne dois le pardon de mon peuple qu’à votre survie. Je vous offre donc ma vie en retour, mais avant j’aimerais que vous m’écoutiez.
Guylhom n’avait pas vraiment le choix et cette longue période alité l’avait rendu avide de compagnie.
- Les dieux m’ont parlé. Ne faites pas cette tête là, ils ont fait plus que vous parler à vous pour que vous surviviez à ces coups de haches. Peu importe comment vous les appelez ou les mystères qui les entourent, terre qui gronde se réveille et les dieux veulent que je l’apaise.
Guylhom bougea nerveusement, il ne savait pas exactement ce qui s’était passé et n’était pas certain de vouloir le savoir. Reste qu’il trouvait ça gonflé de la part de ce sauvage de parler théologie alors qu’il voyait probablement encore un acte divin à chaque coup de tonnerre dans le ciel.
- La survie des Burgans et peut-être de votre propre peuple est en jeu. Une armée a marché sur nos terres, tuant tout sur son passage. Des hommes comme vous !
- Aelor ? vous avez vu Aelor ?
L’homme se tendit un instant et porta la main à une courte hache qui pendait à son côté avant de se raviser.
- Vu ? Non, mais beaucoup des miens sont morts pour stopper son avance. Tant de morts pour rien, il a atteint son but maintenant et il ne nous reste plus beaucoup de temps.
- Son but quel but? Et puis pourquoi dites vous nous ? Qu’ais-je à voir dans tout ça ?
- Les dieux m’ont dit de trouver le chevalier scintillant.
- Et vous pensez que je suis ce…chevalier scintillant ? Tout ça à cause de l’armure ?
- Il n’y a manifestement pas que l’armure. Vous avez tué près de dix burgans à vous seul et vous survivez à trois coups de hache en plein visage.
- Peu importe ce que vous croyez, je ne suis plus en état de faire grand-chose maintenant. Qu’est-ce qu’Aelor à avoir dans vos histoires de fin du monde ?
- Je n’en suis pas sûr, les chamans disent qu’il cherche à abattre nos dieux ou à prendre leur place. En tout cas il combat Terre-Qui-Gronde et il nous faut pouvoir l’arrêter avant le prochain solstice d’hiver.
- Votre charabia mystique me donne mal au crâne, qui est Terre-Qui-Gronde, à quel dieu correspond t’il ?
- Ce n’est pas un dieu, c’est un lieu, le berceau des dieux, le jardin originel. Un lieu sacré, interdit aux mortels.
- L’Au-delà ? Ce n’est qu’une forêt sinistre ? Les écrits sont formels.
L’homme releva la tête, une grimaçe lui déformant le visage :
- Vous voulez vraiment aller vérifier par vous-même ?
- Je suppose que non, mais vous, vous vous dirigez vers le sud pourquoi ? Pourquoi nous attaquer alors que vous avez soi-disant une mission divine pour contrer une menace dans le nord ?
- Je vous l’ai déjà dit, sudiste, je devais vous trouver. Je n’ai réalisé qu’en plein combat qui vous étiez, il était trop tard pour…pour vous. Et ma quête ne s’achève pas là.
- Que vous on dit les dieux à propos de moi ?
L’homme souffla :
- Rien de bien utile, les dieux semblent se moquer de nous. Nous ne sommes que des jouets entre leurs mains. Tout ce que je sais c’est que je dois encore trouver la vierge sanglante.
- Est-ce que ça a une signification particulière ? Je veux dire des vierges ce n’est pas si difficile à trouver si ?
- Vous ne comprenez pas, c’est une mission divine, je dois trouver des gens marqués par les dieux eux-mêmes. Des êtres hors du commun. De simples mortels ne pourront vaincre Aelor.
- Vous ne croyez tout de même pas aux histoires de magies et…
- ….et d’immortels ?
Arnulf le regardait maintenant droit dans les yeux. Guylhom déglutit.
- C’est impossible…
- Les règles de ce monde sont malmenées. Je préférerais mille fois ignorer tout de cela et rester auprès de mes enfants.
- Que comptez vous faire alors ?
- Je ne sais pas. Mon autorité est contestée, laissez vivre des ennemis n’est pas une habitude burganne, certains y voient un signe de faiblesse, je dois d’abord régler ce problème. J’avais espéré que vous connaîtriez la vierge sanglante.
- Mes hommes ?
- Tout ceux qui vous accompagnaient sont festoient en compagnie des dieux, les autres ont fuit avant notre arrivée. Ils ont rejoint des troupes plus conséquentes et nous harcèlent sans cesse. Peut-être pourriez-vous leur parler ?
Guylhom secoua la tête.
- Je n’ai aucune autorité sur ces hommes. Comment puis-je leur demander de vous considérer en ami alors que vous avez massacré tant des leurs pendant des décennies ? Comment faire prévaloir mon statut clérical alors que j’ai manifestement été vaincu ? Je ne peux pas je suis désolé.
L’homme blond se leva et sortit un long poignard d’une gaine accrochée à sa cuisse. Guylhom eut un mouvement de recul mais il se contenta de défaire ses liens.
- Vous vous sentirez mieux ainsi, mais faites attention, Wilema m’a dit que si elle vous voyait vous gratter les cicatrices une seule fois ellle vous saucissonnait à nouveau jusqu’à la fin du monde.
- La vieille qui m’a soignée ? demanda-t’il en se massant les poignets.
L’homme rit.
- Evitez de l’appelez ainsi devant elle si vous tenez à la vie. Wilema Rêve-qui-mord est la chamane de la tribu des Lions et je suis sûr qu’elle trouvera un moyen de mettre fin à votre immortalité.
- Ce n’est pas prouvé, je ne suis pas le premier à survivre à une blessure à la tête.
- Trois blessures à la tête, de plus vous avez une cicatrice d’épée sur le plexus.
Par réflexe, Guylhom, toucha l’endroit, il se sentait si vulnérable face aux Burgans. Connaissaient-ils tout de lui ?
- Vous êtes libre d’allez où vous voulez, mais évitez de vous éloigner du camp. Les hommes de fer rodent.
L’homme le salua d’un regard intense avant de sortir. Il profita donc de l’occasion, revêtit son armure et sortit pour la première fois depuis une éternité. Quel choc, des hommes et des femmes à moitiés nus, des animaux exotiques en pâtures. Le paysage ne lui était pas familier, la plaine était morne, de rares touffes d’herbes grises marquaient le sol tous les quelques pas, au loin le terrain se faisait plus spongieux et les flaques y étaient nombreuses. Il déambula pendant plus d’une heure dans le camp, les hommes le regardaient bizarrement et ne répondaient pas à ses signes de têtes polis.
Il découvrit alors d’autres prisonniers, quelques centaines de civils étaient parqués dans un enclot. Il s’approcha pour mieux les observer, les gardes ne l’en empêchèrent pas. La plupart des prisonniers semblaient abattus, crasseux et portaient des morceaux d’armure disparate. « Des hommes d’une milice ou des brigands. » pensa-t’il. Dès qu’ils le virent, ils s’approchèrent et demandèrent son aide et sa bénédiction. Certains hésitaient en regardant son visage mais la plupart semblaient soulagés d’apercevoir un chevalier de Saint Royan, un personnage public vers qui se tourner. Les gardes Burgans s’approchèrent sur le qui vive, prêt à calmer l’agitation. Guylhom les apaisa d’un geste sans même penser qu’ils n’avaient pas à l’écouter. Il réalisa vite que les deux groupes ne se comprenaient pas. Les prisonniers ne savaient pas ce qui les attendait et les gardiens ne savaient pas si ces hommes et femmes représentaient une vraie menace. Un homme, maigre, de grande taille, les cheveux mi-longs, lui tombant dans les yeux s’approcha. C’était apparemment le chef de la bande, deux femmes et un homme l’accompagnait, aucun n’avait l’air commode même si les femmes avaient un certain charme. « Surtout la plus jeune » pensa-t’il.
- Prisonnier ? demanda l’homme sans ambage.
- Je suis Guylhom de Liudmark, chevalier immaculé de…
- Ouais pas la peine de faire des courbettes, on voit à cent mètres qui vous êtes.
Guylhom avait du mal à comprendre l’hostilité de l’homme mais il décida d’essayer de rassurer les autres qui écoutaient.
- Les burgans ne vous veulent aucun mal, ils sont à la rech…
- Comme ils vous ont pas fait de mal à vous ?
Guylhom tiqua et se tourna vers l’homme :
- Vous êtes ?
- Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
La jeune fille rousse s’approcha et lui posa une main dans le dos avant de s’adresser à Guylhom.
- Ne lui en veuillez pas messire, Saymar est d’humeur exécrable depuis qu’on est prisonnier.
- Mon humeur ? Mais de quoi tu te mêles ?
- Je ne vous connais pas, je ne sais pas comment vous êtes arrivé entre les mains burgannes ni ce que vous avez dû traverser. Je propose juste de faire office d’interprète pour que vos conditions de vie s’améliorent. Peut-être vous consentiront-ils même à vous laisser partir ?
- Dans les bras de ces connards de liudmarkiens ? Non merci.
- Vous combattez les liudmarkiens ? pourquoi ?
Un homme portant un grande balafre répondit :
- Ces salauds ont enlevé la princesse Orlamund.
Saymar leva un sourcil d’un air désabusé mais ne dit rien.
- Mon père m’a garantis qu’il n’avait rien à voir là dedans.
- Vous êtes le fils de cette ordure ?
Saymar avait déjà sorti un couteau et le pointait sur la gorge de Guylhom.
Ce qu’il vit dans les yeux de l’homme le glaça, un brin de folie mais surtout une détermination farouche et un dédain total de la vie.
- Arrêtez. Je viens en ami…
- J’ai assez d’amis comme ça, merci.
- C’est pas mon cas, apparemment.
L’homme le regarda d’un air soudainement amusé et relâcha un peu la pression de sa lame.
- Tiens, les prêtres ont peur de la solitude maintenant, on aura tout vu. C’est quoi votre histoire ?
- Ça va être long à raconter.
- Mouais, rejoignez nous ce soir avec quelque chose à boire et pas de la pisse de chat ! On se racontera p’têt nos malheurs.
Il se détourna comme s’il ne s’était rien passé. Les autres souriaient, l’homme n’était soit pas aussi dur qu’il en avait l’air ou ce genre d’éclats étaient communs par ici.
Guylhom se demanda un instant s’il allait apprendre quelque chose d’intéressant ce soir, avaient-ils un rapport avec Aelor eux aussi ? Qui sait ? Il partit à la recherche d’un alcool qui délierait les langues.
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